Il n’y a que 546 magistrats dont 121 procureurs et 425 juges qui officient dans les Cours et tribunaux, pour 16 millions d’habitants. Un gap en deçà des normes internationales et qui paralyse le fonctionnement du service public de la justice.
Le Sénégal compte un effectif réel de 546 magistrats qui officient dans l’ensemble des Cours et tribunaux du pays, pour 16 209 125 habitants, selon le dernier recensement de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd). Parmi ces 546 magistrats, on distingue 121 procureurs (magistrats du parquet) et 425 juges (magistrats du siège), selon des statistiques obtenues par WalfQuotidien. Un nombre jugé insuffisant par les acteurs et les auxiliaires du secteur en question, pour traiter toutes les affaires en instance dans les cours et tribunaux du pays. Malgré ce nombre insuffisant de magistrats qui paralyse le fonctionnement du service public de la justice, l’Etat continue d’opérer des détachements dans les administrations publiques. Pis, certains magistrats sont mis au frigo ou sont tout simplement victimes d’affectations punitives, pour avoir rendu des décisions défavorables à l’Etat du Sénégal. La liste est longue. Très longue même.
Dans certaines régions, le ministère de la Justice a érigé des Tribunaux de grande instance (Tgi) sans mesure d’accompagnement. Autrement, il n’y a pas de séparation effective des fonctions de poursuites et de jugement dans certaines juridictions. Dans toute la région, il n’y a que deux juges. Le même magistrat fait office de délégué du procureur et de juge en même temps. Une situation en contradiction avec l’article 39 du Code de procédure pénale qui dispose que «le juge d’instruction est chargé de procéder aux informations. Sauf les exceptions prévues par les articles suivants, il ne peut, à peine de nullité, participer au jugement des affaires pénales dont il a connu en sa qualité de juge d’instruction». Et l’exception faite par la loi ne concerne pas la région de Kédougou. À ce propos, l’article 40 déclare : «…Quand le ou les juges d’instruction d’un ressort sont absents, malades ou autrement empêchés, ils sont remplacés par des juges provisoirement désignés par ordonnance du président du tribunal ; à défaut, le président du tribunal est chargé des fonctions de juge d’instruction. Dans ce dernier cas, le président du tribunal peut juger les affaires correctionnelles qu’il a instruites.»
La disposition suivante suit la même logique : «Lorsque le tribunal départemental ne comprend qu’un magistrat, celui-ci, qu’il se soit saisi d’office des affaires de sa compétence ou qu’il ait été requis d’informer par le procureur de la République, remplit les fonctions de juge d’instruction puis juge les affaires qu’il a instruites.» Certains juristes interrogés sur la question invoquent l’article 44 du même code pour justifier la non-séparation des fonctions de poursuite et de jugement. D’où l’interpellation des parlementaires lors du vote du budget 2015 du ministère de la Justice. Le député Cheikh Ndiaye avait pointé l’insuffisance du nombre de magistrats (492) et d’avocats (320) : «Les efforts consentis pour améliorer la gouvernance judiciaire seront-ils efficaces avec de tels effectifs ? Il y a lieu que le gouvernement augmente le budget du ministère de la Justice. Tout comme le déploiement des avocats sur l’ensemble du territoire national.» Depuis, le nombre de magistrats est passé de 492 à 514.
397 avocats
Après les magistrats, on compte 397 avocats presque tous concentrés à Dakar où le volume du contentieux est plus élevé que nulle part ailleurs. Les magistrats sont bien même plus nombreux que les avocats. Ce déficit n’est pas près d’être comblé puisque l’essentiel des effectifs tient son cabinet à Dakar et le concours du Barreau, qui se tient tous les trois ans, est jugé très «sélectif». Dans certaines régions, on compte zéro avocat. Kédougou qui est forte d’une population de plus de 151 357 habitants ne compte pas d’avocat. Ce qui pousse les justiciables à se tourner du côté de Tambacounda, qui ne compte que deux robes noires. Avec l’entrée en vigueur, depuis le 1er janvier 2015, du règlement n°5 de l’Uemoa sur la présence de l’avocat dès l’interpellation, l’insuffisance d’avocats se fait de plus en plus ressentir par les justiciables. La situation est pire dans les régions dépourvues de cabinets d’avocats.
Chez les greffiers, le besoin réel est de 1 125 agents de greffe, mais le Sénégal n’en compte que 415 dans tout le pays. Cette situation s’explique par le phénomène de la «désertion» en milieu judiciaire avec un nombre important de greffiers qui changent de métier pour avoir des lendemains plus souriant. Ils deviennent commissaires de police, avocats, patrons de presse, promoteurs immobiliers car convaincus de n’avoir aucune autre perspective d’avenir dans leur corps d’origine. En 2016, quatre greffiers ont quitté le greffe pour se destiner à d’autres activités plus souriantes. L’année dernière, toute une promotion a récemment quitté le greffe. En moins de 10 ans, ils sont 25 à changer de métier. L’une des raisons invoquée par le Syndicat des travailleurs de la justice (Sytjust), c’est l’absence de plan de carrière. Secrétaire général du Sytjust, Me Ayé Diop explique que cela fait 15 ans que le concours pour être admis dans le corps des greffiers en chef n’est pas organisé par la tutelle. «Les autorités judiciaires ne font rien pour ouvrir des perspectives de carrière pour les greffiers. Au-delà du concours pour être admis dans le corps des greffiers, il faut faire un autre concours, après quelques années de service, pour devenir greffier en chef. Depuis 15 ans, le concours des greffiers en chef ne s’est pas tenue», confie-t-il.
415 greffiers
La deuxième explication concerne l’absence de motivations. «Tous les acteurs de la justice (notamment les magistrats) ont reçu des augmentations de salaire sauf les greffiers. Un greffier qui sort de l’école peine à avoir un salaire de 300 000 francs. Il faut qu’il capitalise plusieurs années avant de pouvoir prétendre à un tel traitement», argumente le syndicaliste. La motivation des travailleurs et les conditions de travail et d’existence sont au cœur des préoccupations. Chose pour laquelle les travailleurs du secteur en question réclament une harmonie des salaires entre magistrats et greffiers. «Nous ne voulons pas créer d’autres problèmes aux justiciables», avertissent les syndicalistes. Les autres raisons concernent les réformes judiciaires jugées «corporatistes» qui n’intègrent pas le corps des greffiers et celui des greffiers en chef aussi appelés administrateurs de greffe.
Cette situation qui prévaut au niveau national impacte négativement certaines régions dont le greffe est dépourvu de bras pour une bonne administration du service public de la Justice. Kédougou ne compte que deux greffiers. Pourtant, les normes internationales recommandent un ratio de deux greffiers pour un magistrat.
Autre corps, même constat. Chez les notaires et les huissiers, la situation est identique. En 200 ans d’existence, seuls 42 cabinets (ou charges) de notaires sont en exercice, lesquels sont contrôlés pour 51 notaires, sur toute l’étendue du territoire national. Mais à côté de ces notaires en exercice, il existe un collectif de 22 notaires non encore titularisés qui se bat pour intégrer le cercle restreint du corps des notaires. Si l’exécution des décisions de justice pose un sérieux problème au Sénégal, c’est en partie dû à l’insuffisance des huissiers qui ne font pas 50, c’est-à-dire moins que les notaires.
Salif KA