Les rideaux viennent de se refermer sur le référendum du 20 mars 2016 qui s’est décliné, dans l’agglomération Mbacké-Touba, par une défaite, sans rémission du camp du Oui qui a été, littéralement, laminé par le courant du Non.
Malgré les appels du pied des autorités pour se remettre au travail, cette consultation populaire continue d’alimenter les discussions dans les grand’ places et au niveau des plateaux de télévision et de radio. Selon les résultats sortis des urnes, le Non a engrangé 65 720 voix contre le Oui qui a été crédité de 26 315 voix à l’échelle du département de Mbacké. Soit un écart de 39 405 voix.
Qu’est-ce qui pourrait, alors, expliquer la débâcle du courant du Oui qui a ainsi subi un revers sans aucun précédent dans les annales de l’histoire ? Sans avoir la moindre prétention d’administrer des leçons, je voudrais, tout de même, formuler des hypothèses d’école pour prétendre cerner le sujet qui continue, encore, de défrayer la chronique dans tout le pays.
Depuis les élections législatives de 1998, à quelques exceptions près, le Pds s’est toujours imposé, comme la première force politique dans la sous-préfecture de Ndame dont Touba est partie intégrante. A moins que je ne m’abuse, le parti libéral a remporté, sans discontinuer, toutes les élections qui ont été organisées dans la zone concernée : élection présidentielle de 2000, élections locales et législatives de 2002, élection présidentielle de 2007, élections locales de 2009, 1er tour de l’élection présidentielle de 2012 et enfin élections locales de 2014. Pour ces dernières consultations, n’eût été le statut spécial de fait de la ville sainte, le maire de la commune serait d’extraction libérale.
Cette tendance lourde s’est encore confirmée avec le référendum remporté, avec la contribution de qualité du Pds qui a constitué, incontestablement, le noyau dur du courant du Non. Il faut alors se rendre à l’évidence que Touba reste, jusqu’à la preuve du contraire, un bassin électoral inexpugnable du parti libéral qui en fait sa chasse gardée. Pour ma part personnelle, le lien, pour le moment indéfectible, entre le vieux leader charismatique du Pds et les mourides du rang procède de raisons subjectives qui justifient le vote affectif des fidèles en faveur du Non perçu comme l’expression d’une opposition au pouvoir en place.
C’est un truisme de reconnaître que le référendum est perçu par des segments entiers de population, à travers le miroir déformant d’un duel au sommet entre l’opposition et le pouvoir. Cette déviation de la trajectoire de la consultation citoyenne relève concomitamment aussi bien de la responsabilité de l’opposition que de celle du parti au pouvoir qui en assume la plus grande part de responsabilité en sa qualité d’aiguillon et de régulateur du jeu démocratique. Le président français Mitterrand disait au congrès France-Afrique de La Baule que «le respect des règles du jeu démocratique est une exigence pour tous les acteurs de la scène politique, mais il l’est davantage pour le parti qui exerce le pouvoir».
D’autre part, la défaite du Oui procède, de mon point de vue personnel, de raisons internes, mais également de facteurs exogènes indépendants de la volonté des responsables locaux. Les divisions internes et les querelles d’ambitions personnelles, au sein du camp du Oui, ont plombé les initiatives des responsables qui ont finalement perdu la bataille d’opinion face à la déferlante Non qui a imposé sa loi d’airain au camp d’en face.
Le déficit de communication autour des 15 points de la réforme constitutionnelle nous a été d’autant plus préjudiciable que nous avions affaire à une population à majorité analphabète qui a subi le pilonnage de prédicateurs qui ont exploité à fond la fibre religieuse des fidèles musulmans. Les enjeux d’argent qui ont traversé, en lame de fond, le déroulement de la campagne, ont contribué à créer une situation de défiance profonde qui a affecté le moral de plusieurs sympathisants du courant du Oui.
Il faut également noter que l’Etat-major du camp du Oui s’est présenté, devant les électeurs, plus comme un conglomérat d’intérêts hétéroclites qu’une équipe unie autour d’un idéal commun. Il se murmure même que, pour des motivations inavouées et inavouables, des prétendus responsables auraient manqué de loyauté en donnant des consignes de vote en faveur du Non. L’affront, infligé à certains cercles de la communauté mouride par un haut responsable, nous a été rendu, au centuple, par les chefs de cette confrérie qui se sont investis personnellement et massivement pour la défaite du Oui. Par ailleurs, les prêches de dignitaires religieux et les sermons d’imams sur des questions sensibles, dont l’évidence n’est pas établie, ont, tout de même, heurté les convictions de pans entiers de population qui se sont braqués subitement contre le courant du Oui.
A la manière de l’autruche, qui se voile la face pour ne rien voir, des responsables du directoire de campagne ont investi les médias et la toile pour procéder, injustement, au lynchage médiatique du coordonnateur du comité électoral accusé de tous les pêchés d’Israël. Or, la défaite du camp du Oui procède d’une responsabilité collective, dont chacun d’entre nous supporte une part. En cas de succès, il est clair que chaque responsable tenterait de tirer la couverture de son côté. Pour le parallélisme des formes, il faudrait, dans ces circonstances difficiles, adopter un comportement digne de façon à relever la tête pour scruter l’avenir avec confiance et optimisme.
A la différence d’élections partisanes et personnalisées où des candidats sont en concurrence, le référendum est une consultation citoyenne impersonnelle dont l’issue dépend du libre arbitre des citoyens appelés à trancher entre le Oui et le Non. Toutefois, en tant que projet personnel d’un homme, le référendum, pour plus de crédibilité, devrait requérir un vote plébiscitaire sans la moindre ambiguïté. Sous tous ces rapports donc, le procès en sorcellerie, intenté contre le coordonnateur du comité électoral, me semble procéder d’une appréciation subjective de la question.
Pour davantage noyer le poisson, certains avancent, d’ores et déjà, des thérapies de choc, en proposant le renouvellement pur et simple du personnel dirigeant local. Une telle proposition n’est que la partie visible de l’iceberg, dont la face cachée dissimile mal la volonté de réclamer la tête du coordonnateur du comité électoral. A mon humble avis, la politique de la «terre brûlée» procède d’une approche réductrice, de courte vue, et, à la limite même, contreproductive. Je suis, à peu près, sûr que le remplacement mécanique du personnel dirigeant local ne changerait pas grand-chose, étant entendu que les mêmes causes vont encore produire les mêmes effets.
Par contre, l’urgence dicte, à tous ceux qui sont soucieux des destinées futures de leur instrument politique, de se consacrer sereinement et loyalement à l’autocritique et à la réunification des rangs pour d’une part, reprendre l’initiative et, d’autre part, se préparer aux enjeux futurs dans un contexte de cohésion et de concorde. Il me semble que le cri de ralliement des responsables locaux devrait rejoindre le credo des soldats du feu dont la devise est : «Survivre ensemble ou périr ensemble». Les luttes de postes et de postures n’ont de sens que si le parti continue de contrôler les leviers du pouvoir. Or, l’adage dispose qu’il faut «éviter la démarche du pêcheur qui veut, à la fois, prélever du poisson tout en contribuant à assécher le fleuve».
Youssoupha BABOU
Instituteur principal de classe exceptionnelle à la retraite
Ancien adjoint au maire de Mbacké
email : youbabou @ yahoo.fr