Tel est pris qui croyait prendre. A force de jouer à cache-cache dans le dossier Khalifa Sall, le pouvoir a fini par avoir les deux pieds dans le tapis.
En effet, la requête du Procureur de la République, plus qu’une solution, est un véritable casse-tête pour Macky Sall et ses ouailles, obligés de se plier en quatre pour se tirer d’affaire.
La demande du parquet déclenche la procédure de levée de l’immunité parlementaire du député Khalifa Sall. Un privilège que le pouvoir s’est jusqu’ici entêté à ne pas lui reconnaitre. Et à partir du moment où l’Assemblée nationale est saisie, via son Président, le règlement intérieur de l’institution l’oblige à y donner suite. «Aujourd’hui, avec la demande de levée de l’immunité parlementaire du député Khalifa Sall, l’Assemblée nationale sera obligée de constituer une commission ad hoc qui sera tenue d’entendre le député. Autrement dit, Khalifa Sall devra être extrait de sa cellule pour être présenté aux députés, certainement sous forte escorte. Et il sera reconduit à la prison après l’audition. Ce scénario juridico-politique inédit est une violation flagrante et ignoble de l’immunité parlementaire d’un député. Le député doit se présenter libre. Son sort ne peut et ne doit être scellé à l’avance. Il revient à ses collègues et seulement à ses collègues, en plénière, de décider de sa poursuite ou de son arrestation», explique Thierno Bocoum, député de la dernière législature. Sauf que, même contraint et forcé, Khalifa Sall n’est nullement obligé de répondre aux questions de ses collègues. La stratégie du sourd-muet de Hissein Habré est encore fraiche dans les mémoires.
L’autre scénario, c’est que la commission, elle-même, se déplace à la prison de Rebeuss pour entendre Khalifa Sall. Mais, en droit, la forme l’emporte souvent sur le fond. Que vaut une audition d’un député faite extra muros, c’est-à-dire hors des murs de la Place Soweto ? Mystère.
Tout compte fait, c’est à un imbroglio juridique cornélien que fera face le pouvoir qui, dos au mur, est obligé de jouer son va-tout. D’autant que, ironie de l’Histoire, on n’est pas dans le même scénario que dans l’affaire Moustapha Niasse. Le 11 novembre 2001, à Wack Ngouna, Moustapha Niasse déclare, devant un parterre d’agriculteurs que la somme de 6 milliards de francs Cfa destinée aux paysans aurait été prélevée par l’Etat dans les caisses de la Société nationale de commercialisation des oléagineux (Sonacos) et détournée à des fins électorales au profit de la coalition Sopi à l’occasion des élections législatives anticipées du 29 avril 2000. Cette déclaration du député Moustapha Niasse fit réagir, dès le lendemain, le porte-parole d’alors du Pds, Modou Diagne Fada, qui annonce que des poursuites allaient être intentées contre le secrétaire général de l’Afp. Quelques jours après la sortie du porte-parole du Pds, le procureur de la République saisit le président de l’Assemblée nationale pour que cette dernière lève l’immunité parlementaire du secrétaire général de l’Afp. Dès qu’elle a été saisie, l’Assemblée nationale s’est attelée à mettre sur pied une commission ad hoc composée de 11 parlementaires. C’est cette commission qui a démarré le lundi 3 décembre l’audition du député Moustapha Niasse pendant sept tours d’horloge. Moustapha Niasse affirme n’avoir formulé que des questions sur les raisons du retrait des 6 milliards, sur leur destination et sur leur remboursement. A ses dénégations sur la portée et le sens de ses propos, la commission parlementaire lui a opposé l’enregistrement sonore de ces mêmes propos recueillis par de nombreuses stations de radio. C’est finalement Abdoulaye Wade qui mit un point final à «l’affaire Niasse», estimant «qu’il n’y a pas lieu à maintenir les poursuites» suite à «la demande des chefs religieux et de la société civile» et compte tenu des «dénégations» de Moustapha Niasse.
Un cas de figure plus simple, vu que Moustapha Niasse n’était pas dans les liens de la prévention et ses déclarations étaient postérieures à son élection comme député. Et, ceci explique-t-il cela, on était à six longues années de la Présidentielle de 2007. Tout l’enjeu de ce combat judiciaire qui met face à face des prétendants au même fauteuil.
Ibrahima ANNE