L’exercice est à la fois périlleux et risqué : un invité face à des journalistes de toutes les spécialités, chacun y allant de ses questions, des plus profanes aux plus savantes.
L’ancien Premier ministre du Sénégal s’est prêté au jeu. Pendant quatre-vingt-dix-neuf (99) minutes, Abdoul Mbaye a subi le feu roulant des questions de WalfQuotidien. Crise casamançaise à la lumière de ses derniers développements, gestion des contrats pétroliers, situation de l’agriculture, vérité sur les chiffres de la croissance, traque des biens mal acquis, état de la gouvernance, bref, toutes les questions qui tiennent actuellement le thermomètre politique. Et à toutes, le très probable candidat à la présidentielle 2019 répond. Sans tabou !
Walf Quotidien : Comment voyez-vous 2018 ?
Abdoul MBAYE : 2018 va être une année électorale. On peut dire pré-électorale, mais elle sera déjà électorale malheureusement. Parce qu’au Sénégal, on est toujours en train de faire de la politique. A ce titre, nous allons malheureusement subir des désagréments. Les intellectuels et les journalistes devraient notamment faire face à une série de mensonges. J’utilise un terme peut-être un peu fort, mais il va correspondre à une stricte réalité. Parce que j’ai le net sentiment qu’au lieu de se préoccuper d’améliorer les conditions de vie des Sénégalais, le gouvernement en place, avec évidemment à sa tête le chef de l’Etat, se préoccupe de vendre une situation qui n’est que statistique et qui n’existe pas dans les faits.
Prenons un petit détail. Personne d’entre vous probablement ne sait que nous avons, au Sénégal, le taux de croissance économique le plus régulier dans son accélération au monde : 3,6 % en 2013, 4,1 % en 2014, 6,5 % en 2015, 6,7 % en 2016, 6,8 % en 2017. Pourquoi ? Parce qu’en 2018, il faut qu’on termine avec 7 % qui représentent le taux compatible avec l’émergence que nous prônons. Mais, c’est incroyable. Dans tous les pays du monde, sur cette longue série d’années, vous avez des hauts et des bas. Au Sénégal, comme par miracle, tout monte.
Prenons l’un des plus gros mensonges qu’on ait jamais vécus au Sénégal depuis l’indépendance, la production arachidière. On nous soutient qu’elle va atteindre 1 400 000 tonnes. Est-ce que vous savez que depuis que le Sénégal est indépendant et même bien avant, jamais cette production n’a été atteinte. Jamais. On a flirté avec le million de tonnes, depuis lors, la pluviométrie a filé. Louga n’est plus Louga, Diourbel n’est plus Diourbel, Kaolack n’est plus Kaolack. Les milliers de camions qui circulaient avec des tonnes de graines d’arachide quand on faisait 700 000 tonnes, c’est-à-dire la moitié de ce qui est annoncé, on ne les voit pas. Eh bien, on nous annonce quand même 1 400 000 tonnes d’arachide. Mais, qu’ils nous disent où se trouvent ces arachides.
Et cela s’ajoute à un autre mensonge qui est celle du riz : 1 015 000 tonnes. Qu’ils nous disent au moins où se trouve ce tonnage pour que les journalistes que vous êtes se rendent sur place. Et, nous aussi, les économistes que nous sommes, que nous allions sur place pour constater ces réalités. Ce sont les plus grossiers parmi les mensonges. Nous allons être dans cette démarche systématiquement. Et ce sera encore une année de perdue pour la recherche de la satisfaction des besoins des Sénégalais. Le Sénégal a ce tort d’accorder trop de place à la chose politique. Cela ne va pas faire exception en 2018.
Comment faire pour confronter ces chiffres à la réalité ?
On ne peut qu’attirer l’attention sur le caractère anachronique des chiffres qui sont donnés. Vous ne pouvez pas faire une production arachidière de 1 million à 1 400 000 tonnes en une année. Ce n’est pas possible. Ou alors, il faut que la consommation des engrais le prouve, il faut que la consommation des semences le prouve, il faut que l’amélioration de la qualité des sols le prouve. Vous ne pouvez pas, dans aucun pays au monde, faire bondir une production céréalière, comme on nous l’a annoncé, de 1 à 2, donc la multiplier par 2 en une année. Ce n’est pas possible. Alors que l’année précédente était déjà exceptionnelle. Ça, c’est l’appréciation macroéconomique.
Mais d’abord, quand vous voulez mettre en mal un mensonge ou faire prouver une vérité, vous allez à la recherche de preuves. Puisqu’ils disent que la production de riz est passée de 400 000 tonnes à peu près en 2014 à 1 015 000 tonnes mais qu’ils nous disent sur quel site pour qu’on aille voir, interroger les producteurs. Nous pourrons interroger les producteurs ou alors qu’on aille interroger la rizerie etc. J’ai lu, et ce n’était pas une donnée que je considère comme venue de l’Etat mais d’un journaliste de qualité, Mohamed Guèye du Quotidien qui indiquait que sur 900 000 tonnes de riz, 400 000 tonnes viennent de la vallée du Sénégal et 500 000 tonnes viennent de la vallée de l’Anambé. Si ce sont des chiffres qu’il est allé chercher auprès des structures détenant cette information, il faut savoir que c’est là le rôle de l’économiste. Seulement, nous savons tous que 80 % de la production de riz au Sénégal viennent de la culture irriguée. Donc, de la vallée du Sénégal et la vallée de l’Anambé. Et jusqu’à présent, la vallée du Sénégal produisait 90 % du riz irrigué. Tout d’un coup, en une année, il y a une inversion totale. Et on a plus de 60 % qui viennent de l’Anambé et 40 % de la vallée du fleuve Sénégal. Je suis désolé, ce n’est pas possible. Surtout que je suis passé là, devant les périmètres de la vallée de l’Anambé. J’ai constaté leur abandon, leur large abandon. Il faut qu’on gagne en sérieux en la matière. Qu’ils disent voilà où ce niveau de production a été atteint. En ce moment-là, les Sénégalais, les journalistes, les économistes, les opposants politiques pourront se rendre sur place et vérifier.
Vous avez également, en matière de taux de croissance, des moyens de vérification. Ceux qu’on s’est fixés depuis longtemps et puis c’est confirmé tous les jours par des déclarations politiques. Ce qu’il faudrait faire, c’est demander à ceux qui ont conçu le Plan Sénégal émergent de venir faire son audit. Parce qu’une émergence, ce n’est pas seulement le taux de croissance qu’on fabrique. Ce sont des niveaux de consommation d’électricité, ce sont plusieurs paramètres qu’il faut vérifier, qu’il faut constater. (…)
Mais vous avez dû tous constater la grande prudence du chef de l’Etat lors de son discours du 31 décembre. Avez-vous entendu parler du Pse ? Avez-vous vu entendu parler de l’émergence ? Quand on est dans un projet aussi important pour le peuple du Sénégal, chaque année on doit en faire un bilan et évoquer les prochaines étapes à venir. Il n’en a pas parlé. Pas un mot sur l’émergence. Pas un mot sur le Pse.
Vous doutez du taux de croissance avancé par les autorités. Selon vous, quel est le véritable taux de croissance du Sénégal ?
Très sincèrement, là, par contre, c’est trop difficile. Je n’ai pas les équipes pour construire un taux de croissance. Par contre, je me souviens (je n’ai pas suivi cette émission, on m’en a rendu compte), un ministre de la République aurait dit : «Oui, mais la logique est la même depuis que Abdoul Mbaye était là et qu’il est parti, on ne voit pas pourquoi les choses changeraient». Mais on ne parle pas de méthodologie. On parle de données alimentant le processus de calcul du taux de croissance. C’est pourquoi, j’insiste sur la nécessité d’aller vers la vérité des chiffres, parce qu’il est certain que quand vous voulez tromper un organe comme le Fonds monétaire international ou la Banque mondiale, vous êtes obligé de démarrer au niveau des données. C’est ce qui se fait. Ils n’iront pas visiter le paysan, pour voir si, oui ou non, il y a production … Le taux de croissance probable, ça par contre, je ne me risquerai pas à en annoncer un, parce que j’entrerais dans le travers que je dénonce.
N’est-il pas trop léger de votre part de contester les chiffres si tant est que vous ne pouvez pas leur opposer les véritables chiffres ?
Je conteste les chiffres de production.
Vous n’en proposez pas ?
Les chiffres de production, ce sont les données. Des objectifs de production faux donnent forcément des taux de croissance faux. Un million 400 mille tonnes ? Interrogez n’importe quel spécialiste de l’agriculture au Sénégal, il vous dira que ce n’est pas possible. Interrogez les syndicats des transporteurs qui ont l’habitude de transporter les arachides, ils vous diront : «On n’en a pas encore vu». Interrogez leurs propres statistiques d’exportation et de livraison aux huileries, cela ne fait pas 200 mille tonnes au total alors que l’année dernière, on annonçait 900 mille tonnes. Où est le reste ? Cela veut dire qu’il y a de l’incohérence dans leurs propres chiffres.
L’actualité est dominée ces derniers jours par ce qui se passe en Casamance. Tout juste après les meurtres, vous avez demandé, sur votre page facebook, à l’armée sénégalaise et au Mfdc d’aller à la recherche des auteurs de ce massacre. Au moment où vous écriviez cette déclaration, aviez-vous suffisamment d’éléments pour disculper le mouvement indépendantiste ?
Ce n’est pas à moi de disculper. Au moment où vous posez la question, on ne sait toujours pas qui sont les auteurs, quels sont les mobiles, qui sont les commanditaires. Donc, il faut être très prudent. Ce qu’on sait, c’est que ce carnage est une horrible chose qui doit être condamnée par tout le monde, au Sénégal et à l’étranger.
Quand vous dites que les forces de sécurité et le Mfdc doivent retrouver les auteurs de cette boucherie inqualifiable et les châtier, ne disculpez-vous pas le Mfdc puisque vous leur demandez d’aller à la recherche des auteurs?
Non. Ils sont concernés par la recherche. A priori, ce que vous devez accepter au départ, c’est que cet acte est inqualifiable, horrible, lâche, au summum de la lâcheté parce qu’il n’a même pas été revendiqué. A priori, tout le monde doit se mettre à la recherche des auteurs. Tout le monde doit dénoncer l’acte.
Même si les auteurs sont dans les rangs du Mfdc ?
Même s’ils sont dans les rangs du Mfdc. Parce qu’il y a une différence entre les auteurs et les commanditaires. Je m’en tiens à l’information disponible. On ne sait pas qui sont les auteurs, on ne sait pas quels sont les mobiles, on ne sait pas qui sont les commanditaires. Il y a des actes qui ne sont plus tolérés maintenant, nulle part. Ces actes sont imprescriptibles. Ce sont des crimes qui pourront être poursuivis jusqu’à la fin des temps. Ceux qui y ont contribué ou l’ont commandité, ont pris de gros risques. A partir de ce moment-là, vous connaissez le principe fondamental du droit : présomption d’innocence pour celui qui n’est pas encore déclaré coupable. Mais le Mfdc doit, au moment où je vous parle, condamner cet acte et se mettre à la recherche des auteurs. Pourquoi ? Parce qu’ils connaissent bien la forêt dans laquelle se sont réfugiés les auteurs de ce carnage. Ils doivent contribuer. S’ils ne contribuent pas, il commencera à y avoir un problème. Ceci dit : évitons d’aller trop vite en besogne. La question est très délicate. Il faut faire confiance aux forces de sécurité de ce pays. Il faut surtout éviter de remettre en cause le processus de paix qui a été engagé. Parce que cela aussi est une hypothèse. Est-ce que cet acte n’est pas un acte qui a été commis avec pour objectif délibéré de nuire au Sénégal et de nuire au processus de paix ? Donc, prudence.
Prudence de la part de qui, selon vous ?
(Rire, Ndlr) Si je le savais, je l’aurais dit. Mais c’est possible. Ce sont des hypothèses. Il faut donc en tenir compte et faire preuve de prudence. C’est pourquoi j’appelle à la prudence.
«La crise casamançaise a souffert de trop de publicité. La crise casamançaise a souffert d’argent trop distribué. Ce qui a gêné l’efficacité de sa résolution»
Le président de la République a-t-il eu raison de parler du Mfdc le 31 décembre lors de son adresse à la nation ?
Ecoutez, jusqu’à présent, la crise casamançaise a souffert de trop de publicité. La crise casamançaise a souffert d’argent trop distribué. Ce qui a gêné l’efficacité de sa résolution.
Certains n’hésitent pas à dire que vous n’avez plus été Pm à cause de votre différend avec Diagna Ndiaye. Qu’en est-il de cette assertion ?
Je ne lui connais pas ce pouvoir mais il n’était pas le seul à me combattre. Il en faisait partie.
A un moment donné vous vous êtes disputé la qualité de membre du Cio…
Il faut lever une confusion à ce niveau. J’ai été comme lui candidat au Comité international olympique (Cio). Mais je ne l’étais plus quand j’étais Premier ministre. Vous savez, la candidature au Cio, il faut la renouveler toutes les années. Je n’ai pas renouvelé. La différence entre Mamadou Diagna Ndiaye et moi, c’est qu’il était membre d’une commission du Cio sur recommandation du juge Kéba Mbaye. Moi je suis entré dans une autre commission, en ce moment le juge Kéba Mbaye (paix en son âme) nous avait déjà quittés. Voilà ce qui nous a séparés. Ensuite, chacun a essayé d’être membre du Cio, mais moi j’ai arrêté de renouveler mon dossier quand je suis devenu Premier ministre.
En tant que banquiers, vous aviez eu à travailler ensemble. Qu’est-ce qui vous oppose réellement ?
Je ne sais pas, très sincèrement, il faut le lui demander
C’est un conflit que vous aviez au groupe Mimran que vous aviez transféré au Cio et dans la sphère du pouvoir…
Je n’ai jamais été en conflit avec quiconque. On me confie une mission que j’exécute. On me dit : il faut baisser le prix des principales denrées alimentaires au Sénégal. Pour ce faire, il faut présenter des arguments acceptables pour toutes les parties. Le Sénégal produit une partie du sucre et importe l’autre partie qu’il consomme. Quand je suis arrivé au pouvoir, le sucre importé l’était par le producteur. Puisque le sucre importé peut l’être à un prix moindre, nous nous sommes dit : mettons en concurrence des importateurs avec le producteur. Des Sénégalais ont proposé des prix moindres. La décision logique qui est arrivée est la suivante : messieurs les producteurs, vous gardez votre prix, on n’y touche pas. Par contre, puisqu’il y a un prix plus faible qui peut provenir du sucre importé par d’autres opérateurs, laissons-les importer. Qui peut être contre cela ? J’ai de très bons rapports avec M. Mimran. Peut-être qu’il n’a pas apprécié cela, mais c’est un homme très objectif. Quand je lui ai expliqué, il a compris. J’ai fait valoir des arguments strictement objectifs.
Vous est-il arrivé, alors que vous étiez chef du gouvernement, d’être obligé de ne pas traiter des dossiers à cause de lobbies ?
Dans un cas, un lobby m’a fait reprendre une décision que j’avais déjà prise en tant que Premier ministre.
Laquelle ?
Rires.
Votre nom a été cité dans un dossier très sensible qu’est la réfection du Building administratif. Qu’en est-il exactement ?
Sur tous les dossiers sur lesquels Abdoul Mbaye a eu à intervenir, vous ne retrouverez jamais un écart par rapport à la procédure. Ce n’est pas possible, je préfère remettre ma démission et m’en aller. Nous étions dans une situation d’urgence, on a procédé à une consultation restreinte et on a eu trois projets. Le meilleur projet le moins coûteux a été retenu dans le strict respect de la procédure administrative. J’ai entendu dire qu’on a donné le marché à un vendeur de carreaux. C’est un groupement qui s’est présenté avec d’excellentes propositions. C’est un excellent projet qui a été retenu pour le building administratif. Ce n’est pas parce que vous êtes marchand de carreaux qu’on doit vous mépriser. C’est quelqu’un qui a énormément de mérite par son parcours professionnel et d’opérateur, et il était à l’intérieur d’un groupement, où il y avait d’excellents techniciens. Il y a souvent un peu de mousse pour certains dossiers.
On vous a également cité dans l’affaire Frank Timis. Quel a été votre rôle ?
L’affaire Frank Timis est la pilule que je n’arrive pas à avaler. Ma contre signature figure dans le décret qui a accordé à la société des permis pétroliers. C’est après avoir quitté le gouvernement que j’ai fait mon enquête, après qu’on a attiré mon attention là-dessus pour constater que le décret qui avait été soumis à la signature du président de la République, Macky Sall et à la mienne l’avait été sur la base d’un faux rapport de présentation signé par M. Aly Ngouille Ndiaye.
Le Code pétrolier est clair : vous ne donnez pas de permis pétrolier à une entreprise qui n’a pas prouvé ses compétences financières et techniques. Et pour présenter Frank Timis et sa société comme bénéficiant de cette expérience, il y a du mensonge dans le rapport de présentation. Dans ce rapport du ministre, on présente sa société comme ayant une grande expérience dans la recherche et l’exploitation des hydrocarbures et qui a des moyens financiers colossaux. C’est extrêmement grave ! Depuis que le Sénégal est indépendant, c’est le seul cas d’un rapport de présentation délibérément faux présenté à un Conseil de ministres.
Il y a aussi quelque chose de grave qui s’est produit ce jour-là. M. Aliou Sall, frère du président de la République, était déjà en fonction dans cette société. C’est une information qui nous a été cachée. Cette information n’a pas été donnée. Même si la loi ne l’interdit pas, l’éthique ne voudrait pas cela. Lorsque j’ai écrit au président en fin 2016 pour lui dire : «Monsieur le Président, vous comme signataire principal, moi comme contre signataire, nous avons été trompés», j’ai mis dans le courrier tous les détails parce que la société en question venait d’être créée avec un capital que 1 000 Sénégalais sont capables de libérer. Depuis lors, silence radio. Alors que le président de la République devait engager des enquêtes administratives et judiciaires parce que ce qui s’est produit est grave. Je n’ai pas encore contrôlé la source, mais un organe américain, impliqué dans l’enquête en cours, aurait chiffré la perte de valeur pour le Sénégal, qui n’a pas fait valoir ses droits de préemption, à hauteur de 230 milliards de francrs Cfa. C’est grave et il faudra engager des enquêtes.
N’est-il tout aussi grave, au niveau de responsabilité où vous étiez, que vous soyiez abusé tout aussi facilement ?
Un gouvernement, c’est un organe solidaire. Un Premier ministre est chef du gouvernement. Il supervise, mais il n’a pas les équipes de travail. Un décret d’affection fait que tous les fonctionnaires en charge des questions pétrolières soient rattachés au ministre en charge des questions pétrolières. Cela veut dire que même si je constate une faute évidente, à qui est-ce que je remets le dossier pour qu’il regarde ? C’est au ministre et cela va engager tout le gouvernement. Les services sont ceux du ministre. Moi, j’ai un conseiller qui s’occupe des mines, de l’industrie… Comment pouvez-vous imaginer qu’un ministre qui est au service de la République, puisse vous présenter un document qui est faux ? Intentionnellement faux parce que l’objectif c’était de faire attribuer des permis à Frank Timis. On ne peut pas l’imaginer. Le vrai problème, c’est de choisir de bons ministres, compétents et qui refusent certains ordres parce qu’ils en reçoivent.
Mettez-vous en cause le ministre qui a présenté le rapport ou le président de la République ?
Pour l’instant, je mets en cause celui qui a signé le rapport. C’est le ministre. Par contre, je trouve anormal que le président de la République, informé par courrier par son ancien Premier ministre, n’ait engagé aucune enquête parce que c’est gravissime dans une République.
N’est-ce pas la même chose avec le ministre Thierno Alassane Sall
Vous allez peut-être recevoir, un jour, Thierno Alassane Sall pour lui poser la question directement. Dès que j’ai été informé de la question, j’ai dit : «Je connais Thierno Alassane Sall. Il n’est pas quelqu’un à qui vous allez imposer des choses anormales contre les intérêts du Sénégal». Je l’ai pratiqué. Il a été ministre dans un gouvernement que j’ai dirigé. C’est ce que je peux dire. Les détails de l’affaire doivent venir de lui.
Si le président n’a pas donné suite à votre requête, c’est peut-être parce qu’il vous considère comme un opposant qui voit le mal partout…
Le problème n’est pas là. Je mets en avant l’intérêt du Sénégal face au deal dont le Sénégal a été victime. Que cela vienne d’un ennemi irréductible ou d’un ancien camarade, normalement vous devez mettre de l’ordre pour l’intérêt du Sénégal. Ici, on politise tout. Il fallait engager des enquêtes judiciaires et administratives pour voir pourquoi on a présenté un faux rapport de présentation pour permettre l’attribution d’un permis.
Comptez-vous revenir à la charge si vous revenez aux affaires ?
Lorsque nous serons aux affaires, c’est un sujet sur lequel il faudra revenir. Si Dieu nous y conduit.
En tant qu’ancien Pm, quel commentaire faites-vous de la gouvernance du pays ?
Faible. «Le Sénégal de Tous, le Sénégal pour Tous», c’est un slogan politique mais, dans les faits, qu’est-ce qui se passe ? Lorsque vous recrutez dans la fonction publique, une personne présente son dossier, vous l’appelez pour la relancer et lui demander dans quel parti elle milite. Quand vous allez aux élections, vous dites aux Directeurs généraux si vous ne mouillez pas le maillot, je vous dégomme. C’est cela le Sénégal de Tous ! Quand on n’est pas de l’Apr, vous pensez possible d’être directeur général d’une société ? C’est cela le Sénégal de Tous ? Je peux vous parler du cas d’une infirmière sans compétence qui a le mérite d’être la belle-sœur et qui officie à Kaolack. Il faut qu’on remette ce pays sur les rails avec un principe de gouvernance et c’est le sens d’ailleurs de notre politique. Mettons devant les intérêts du Sénégal et les intérêts du peuple, pas les intérêts de politiciens. Quand on a une gestion clanique et familiale du pouvoir qu’on vit, qu’on ne nous parle pas de «Sénégal de Tous et de Sénégal pour Tous».
Nous avons besoin d’un slogan pour sortir des difficultés mais malheureusement c’est un slogan totalement contraire à la pratique. Et le Sénégal de l’exclusion se poursuit où lorsque vous vous affichez comme opposant, on ne vous écoute pas. Son frère, Aliou Sall, dirige la société financière la plus importante du Sénégal. C’est ça le Sénégal pour Tous, le Sénégal de Tous ? Je prends cet exemple parce qu’il est plus proche. On peut le multiplier à l’infini. Le slogan est indispensable pour le type de gouvernance permettant de sortir de la difficulté, mais malheureusement, c’est encore un slogan qui est totalement contraire à la pratique. Le Sénégal de l’exclusion se poursuit. Quand on vous cherche des noises avec la justice pour vous empêcher de prétendre à un mandat électif, cela s’appelle de l’exclusion.
Justement, comment avez-vous vécu vos démêlés avec la justice ?
Sincèrement, c’était dur. Parce que c’est la première fois que j’avais ce contact avec la justice. C’est encore plus dur parce que j’étais en contact avec l’injustice. Quand le procureur de la République s’adresse aux médias et dit : «Madame X a amené un document, Abdoul Mbaye en a amené un autre ; comme les documents étaient contradictoires, j’ai engagé des poursuites contre Abdoul Mbaye». C’est ça la justice ? C’est exactement ce qui s’est passé. D’ailleurs, j’ai eu la chance de la vie, parce qu’il parait que le président du tribunal correctionnel est un Imam de mosquée. C’est peut-être ce qui m’a sauvé. (Rire). Mais vivre l’injustice, c’est terrible.
La transition est trouvée pour parler du secteur de la justice. Le débat qui se pose actuellement, c’est l’indépendance de la justice. Vous avez suivi toutes les propositions et les dénonciations faites par les magistrats lors du colloque de l’Union des magistrats sénégalais. En tant qu’ancien Premier ministre, pensez-vous que les récriminations des magistrats sont fondées ?
Elles sont fondées. Je loue le combat et les propositions faits par l’Union des magistrats sénégalais (Ums). C’est un combat pour la corporation, mais aussi c’est un combat pour la paix sociale pour ce pays. Parce qu’une société sans justice égale, est une société qui va à sa perte. On court de gros risques, l’indépendance de la Justice vis-à-vis de l’Exécutif doit être absolument construite et les propositions issues du séminaire de l’Ums sont excellentes. Par contre, il faut aller au-delà. L’Indépendance, ce n’est pas seulement vis-à-vis de la justice, c’est également vis-à-vis des parties. Or en tant que directeur général d’une structure bancaire, j’ai vécu des situations où il faut absolument veiller à mettre des garde-fous pour que la justice soit également indépendante des parties. Oui, indépendance vis-à-vis de l’exécutif, mais recherche de propositions pour l’indépendance vis-à-vis des parties.
Il y a aussi des lobbies religieux ?
Lobbies religieux, l’argent. Il faut le dire, on a des magistrats de qualité incorruptibles. Tout le monde reconnait, parfois, qu’il y a des faiblesses. Il faut que tout cela puisse disparaitre.
Avec la traque des biens mal acquis, 17 dossiers sont en souffrance. Pouvez-vous nous en dire en plus ?
Non. Je ne peux en dire plus. Référez-vous à ce que le président de la République avait dit au journal Jeune Afrique. Vous avez deux conceptions dans la traque des biens mal acquis. Vous avez une qui privilégie la poursuite judiciaire. Cela n’est pas la plus efficace et cela a été prouvé par le monde. Vous en avez une autre qui met devant la recherche de l’information, l’enquête à travers le monde et les moyens existent. On a des institutions spécialisées pour cela. Une fois que vous avez tous ces renseignements, vous entrez dans une procédure de récupération des fonds. Parce que c’est cela qui est le plus important pour le peuple. Les choix ont été différents, c’est pourquoi, vous ne m’avez jamais vu en pointe sur ce dossier.
Donc vous privilégiez la seconde ?
On peut le dire.
Des anciens dignitaires n’ont-ils pas transigé en catimini ?
Sincèrement, je ne suis pas au courant. Sur ce dossier, c’est l’occasion d’apporter une petite précision. J’ai lu dans la presse que Dp World avait payé 23 milliards francs Cfa et quelques dans le cadre de la traque des biens mal acquis. Ce n’est pas vrai. A propos de Dp World, avec mes services, nous avions identifié une anomalie comptable qui avait lésé l’Etat du Sénégal. Et j’ai amené les autorités de Dp World à faire ce chèque. Et c’est ce chèque qui a été utilisé. Donc ce n’est pas dans le cadre de la traque des biens mal acquis. Disons que ceux qui étaient là, avaient commis une négligence en laissant passer cela.
A suivre…
Walf Quotidien