Le procès Khalifa Sall et Cie a pris fin vendredi dernier, après 21 jours d’audience.
En attendant le verdict du 30 mars, WalfQuotidien plonge ses lecteurs sur les faits saillants du jugement du maire de Dakar, poursuivis, avec ses sept proches collaborateurs, pour «associations de malfaiteurs, détournement de deniers publics, escroquerie portant sur des deniers publics, blanchiment d’argent, faux et usage de faux». Du stade des préliminaires aux plaidoiries, en passant par l’interrogatoire, les témoignages, le réquisitoire du ministère public, les incidents d’audience, le procès dit de la Caisse d’avance, qui s’est tenu au palais de justice Lat-Dior de Dakar, a rythmé l’agenda de la nouvelle année judiciaire.
Tout au long de ces trois semaines d’audience, parfois brutales, souvent fastidieuses, il aura été possible au public de plonger dans les méandres de la comptabilité publique. Le procès aura aussi rempli pleinement sa mission de catharsis, permettant aux victimes de témoigner dans un cadre à la hauteur de leurs souffrances. Quelle fut triste cette journée d’audience dans une salle en larmes, avec une succession de témoignages, de récits de vies brisées et de combats trop lourds à porter ! Mais qu’il fut également beau l’hommage rendu aux prévenus par leurs avocats. Tout comme leurs derniers mots à la barre, avant que ne tombe la date du verdict.
NEUF MOIS D’ENQUETE, DIX REQUETES REJETEES
Le juge d’instruction, la Cour d’appel et la Cour suprême sur la même longueur d’ondes
Bouclé après 9 mois d’instruction, le dossier Khalifa Sall a été ponctué de plusieurs péripéties judiciaires, lesquelles restent marquées par une trentaine de requêtes et recours rejetés. Rien que les demandes concernant Khalifa Sall avoisinent la dizaine. La plupart des demandes ont été déjà vidées par les juges compétents. D’abord par le doyen des juges. Certaines de ces requêtes ont porté sur la liberté provisoire, d’autres sur l’annulation des poursuites ou encore la remise en liberté du maire de Dakar, en raison de son statut de député qui lui confère une immunité parlementaire et pour lequel la défense a plaidé «l’inviolabilité parlementaire». La dernière décision rendue par le doyen des juges concerne la caution de 1,8 milliard, mais celle-ci a connu le même sort que les précédentes sollicitations.
Espérant une infirmation de ces décisions défavorables, les avocats de se tourner vers la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Dakar, instance de second degré. Et celle-ci a rendu plusieurs arrêts qui déboutent la défense, dont les plus retentissants sont ceux rendus le jeudi 28 septembre, en novembre et décembre 2017. En dernier ressort, la Cour suprême a rendu des décisions suite au pourvoi formé par la défense. On retiendra les arrêts du 21 juillet, du 26 septembre, du 5 octobre, entre autres. Les deux premières ont porté sur la «requête aux fins d’annulation de la procédure». Quant à l’autre, c’est en rapport à la demande de participation à la campagne électorale, en vue des législatives du 30 juillet dernier. L’une des décisions est motivée par le non-paiement de la consignation, c’est-à-dire les frais de procédure estimés à 60 mille francs Cfa.
Compétent pour statuer sur les questions électorales, le Conseil constitutionnel a aussi rendu une décision dans l’affaire Khalifa Sall, au sujet de l’annulation du scrutin entaché d’irrégularités dont la requête a été portée par la coalition Manko. Hélas, les 7 «Sages» ont préféré suivre les pas des autres instances judiciaires, au motif que les législatives se sont déroulées dans des conditions qui n’entachent en rien la régularité du scrutin.
C’est comme si toutes ces juridictions s’étaient passé le mot pour qu’il n’y ait pas de voix discordante entre elles. Et c’est ainsi qu’elles ont émis sur la même longueur d’ondes tout au long de la procédure.
Le Tribunal de grande instance (Tgi) de Dakar aura abrité, avec l’affaire de la Caisse d’avance de la mairie de Dakar, un procès marathon qui aura duré 21 jours. Tout s’est joué, du mardi 23 janvier au vendredi 23 février 2018, sous la présidence du juge Malick Lamotte, assisté de deux juges-assesseurs : Maguette Diop et Hamath Sy. Les audiences se sont tenues tous les jours ouvrables de la semaine, du lundi au vendredi (de 9 à 13 h 30 et de 15 h et 18 h). Jugés pour «association de malfaiteurs, détournement de deniers publics, escroquerie portant sur des deniers publics, blanchiment d’argent, faux et usage de faux». Au banc des prévenus, huit personnes qui ont pour noms : Khalifa Sall (maire de Dakar), Mbaye Touré (directeur administratif et financier), Fatou Traoré (secrétaire du maire), Amadou Mactar Diop (responsable de la commission de réception), Yaya Bodian (chef du bureau du budget), Ibrahima Yatma Diaw (chef de la division financière et comptable) et enfin les deux percepteurs municipaux, Mamadou Oumar Bocoum et Ibrahima Touré.
La première semaine du procès aura été marquée par les préliminaires avec la défense qui a soulevé moult exceptions de nullité de la procédure et d’incompétence du Tribunal correctionnel, statuant en audience spéciale. Certaines d’entre elles ont été vidées, d’autres jointes au fond (voir page 7). La deuxième semaine a coïncidé avec l’interrogatoire des prévenus qui n’ont pas émis sur la même longueur d’ondes. Les deux percepteurs ont adopté une ligne de défense contraire à celle de leurs co-prévenus, arguant que l’argent qui alimente la Caisse d’avance ne peut pas recevoir la qualification de fonds politiques. Mais l’heure de la confrontation entre les prévenus a été le moment le plus excitant du procès car ayant été fatale pour les uns et les autres. Appelé à trancher entre les contradictions de Mbaye Touré et du percepteur Bocoum, Khalifa a craqué pour la première et unique fois durant son jugement, refusant de se livrer à cet exercice. En somme, toute la stratégie de défense du «Grand maire» a été bâti sur l’argumentaire selon lequel les fonds supposés détournés sont politiques. Et que l’offre politique de Macky Sall qu’il a déclinée, l’a conduit à tous ces démêlés judiciaires (voir page 8).
23 témoins ont défilé à la barre
Deux témoins à charge ont défilé à la barre : Abdoulaye Diagne et Ibrahima Touré. Comptable matière à la ville de Dakar, le premier a indiqué n’avoir jamais reçu la marchandise commandée. «Je recevais toutes les acquisitions de la ville de Dakar, mais je n’ai jamais reçu le moindre grain de riz ou de mil. Je suis formel». Le second est le président du Gie Tabaar et vendeur de café Touba dont les signatures et l’entête de la société ont été falsifiées. Les autres témoins ont disculpé le maire de Dakar. L’un des plus remarqués aura été l’ancien maire de Dakar, Mamadou Diop, qui a confirmé la nature politique des fonds qui alimentent la Caisse d’avance. Mais il y a aussi la déposition fracassante de l’édile des Parcelles-assainies, Moussa Sy. Conseiller municipal à la ville de Dakar depuis 1996, il a dévoilé le nom de certains bénéficiaires de l’argent présumé détourné, notamment le chanteur Youssou Ndour pour l’organisation de ses prestations musicales à Bercy (France) mais également les familles religieuses du pays à l’exception de Touba. Moussa Sy de témoigner : «J’ai travaillé avec trois maires, Je connais bien l’existence des fonds politiques issus de la Caisse d’avance. Quand Pape Diop est devenu maire, j’ai moi-même servi d’intermédiaire entre lui et certaines familles religieuses. Pendant 7 ans, j’ai distribué de l’argent partout, sauf à Touba. Sous le magistère de Pape Diop, je distribuais au moins 10 millions par famille religieuse chaque année. J’ai disposé de presque 400 millions pendant 7 ans et je savais que les fonds étaient issus de la Caisse d’avance. Cette Caisse d’avance a servi à l’accueil des chefs d’Etat étrangers, à l’instar du Roi Mohamed VI et autres plénipotentiaires (…)».
Les prévenus risquent entre 1 et 7 ans
Dans son réquisitoire qui aura duré deux heures, le procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye, a requis 7 ans contre Khalifa Sall et Mbaye Touré, en plus d’une amende de 5,49 milliards Fcfa. Ils sont les deux seuls prévenus poursuivis pour «blanchiment de capitaux» et «détournement de deniers publics». Mais ils partagent d’autres infractions avec leurs codétenus. Si le juge suit le réquisitoire du parquet, Fatou Traoré va recouvrer la liberté, au prononcé du verdict. Le maître des poursuites a sollicité qu’elle soit déclarée coupable de «complicité de faux et usage de faux en écriture de commerce» et condamnée à 2 ans, dont un an avec sursis. Une peine déjà couverte par sa détention provisoire à la Maison d’arrêt pour femmes de Liberté 6. Tandis que les deux percepteurs (Bocoum et Touré) filent droit vers la relaxe, le reste (Yaya Bodian, Amadou Moctar Diop et Ibrahima Yatma Diaw) encourt chacun 5 ans ferme chacun.
12 milliards réclamés par l’Etat et le procureur
Les avocats de la partie civile et l’agent judiciaire ont chiffré à 6,830 milliards francs Cfa le préjudice subi par l’Etat du Sénégal. Cet argent combiné aux 5,49 milliards d’amende requis par le ministère public, fait un total de 12 milliards (amende et dommages et intérêts) réclamés aux huit prévenus.
DROITS DES PARTIES
Comme si le tribunal obéissait à un calendrier préalablement établi, tout était programmé suivant un timing bien ficelé. La durée des plaidoiries (3 jours pour la défense, un pour les 2 parties civiles), la réduction du nombre des témoins… Toutes choses qui ont été des restrictions opérées dans les droits sacrés de la défense. C’était d’autant inédit que jamais une telle restriction n’a été de mise dans tous les grands procès politiques qui se sont tenus au Sénégal.
Ça a débuté mal pour Khalifa Sall. Parmi les restrictions des droits de la défense notées au cours du procès figure la limitation des témoins de 70 à 20. «La défense a le droit d’organiser sa défense comme il l’entend. Mais cette autorisation accordée par le tribunal ne donne que la possibilité à la défense de faire témoigner que 20 témoins, c’est-à-dire 10 pour donner des explications sur l’utilisation de la Caisse d’avance et 10 autres pour parler de l’utilisation de ces fonds», avait tranché le juge Lamotte.
Cette limitation a été décidée d’office et d’autorité par le tribunal sans qu’aucune explication ne soit fournie à la défense. Ainsi, plusieurs personnes que les avocats des prévenus ont voulu citer, n’ont pas été autorisées à venir témoigner. C’est, notamment, le cas de l’ancien président de la République de 2000 à 2012, Abdoulaye Wade, de l’ex-Premier ministre Abdoul Mbaye, des responsables d’institutions étatiques tels que Moustapha Niasse (Assemblée nationale), Ousmane Tanor Dieng (Haut conseil des collectivités territoriales, Hcct), Aminata Tall (Conseil économique, social et environnemental, Cese). Mais également deux membres du gouvernement, à savoir le ministre de l’Economie et des Finances (Amadou Bâ) et celui du Budget, Birima Mangara.
Le premier groupe de témoins avait été cité pour prouver que l’argent qui alimente la Caisse d’avance relève de fonds politiques. La seconde vague, constituée des bénéficiaires de ladite Caisse, avait comme tâche d’apporter la preuve que cet argent n’a pas été utilisé à des fins personnelles. Hélas, le juge n’en a autorisé que dix de chaque côté, faisant ainsi un total de 20 témoins cités par la défense. Pour la partie civile, seuls deux témoins ont été autorisés à défiler à la barre.
Restriction sans explication des témoins de la défense
Les avocats des prévenus ont tenté de convaincre le juge, mais sans succès. «L’Agent judiciaire de l’Etat ne peut pas s’opposer à l’audition des témoins. Il ne peut pas nous dicter les moyens que nous utilisons pour établir nos moyens de défense», avait clamé Me Ciré Clédor Ly. «Vous ne pouvez pas nous priver du droit de citer nos témoins. Les prévenus ont le droit de faire entendre le nombre de témoins qu’ils souhaitent faire citer à la barre, pour contribuer à la manifestation de la vérité», avait ajouté Me François Sarr, coordonnateur du pool d’avocats de la défense. Des avis partagés par Me Doudou Ndoye, également membre du collectif des conseils des prévenus. Du côté du camp adverse, les avocats de l’Etat et l’agent judiciaire avaient jugé inopportune l’audition de toutes ces personnes énumérées. «La déposition des témoins ici présents n’est pas nécessaire. Il n’est pas utile de les entendre tous», avait indiqué Antoine Félix Diome, appuyé par ses collègues de la partie civile.
Cette décision du tribunal correctionnel avait étonné plus d’un observateur, de par son caractère inédit. Par exemple, lors du procès Karim Wade, 91 témoins avaient été cités par la défense, sans aucune objection des juges de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei).
Des restrictions ont été également portées sur la présentation des exceptions, avec un timing de 3 heures imparti à chaque partie, aussi bien pour les avocats de la défense que pour ceux de l’Etat. Lors des plaidoiries, seuls trois jours ont été donnés à tous les avocats chargés de défendre les huit prévenus poursuivis dans l’affaire de la Caisse d’avance, comme si le tribunal obéissait à un calendrier fixé auparavant. A charge pour eux de fixer le timing pour chacun d’entre eux. Les deux parties civiles (Etat et mairie de Dakar) ont eu chacune droit à une journée pour défendre les intérêts de leurs clients. Idem pour le parquet qui a eu une après-midi pour faire dérouler son réquisitoire de 2 heures.
Traitement de faveur pour le prévenu de l’APR
Parmi les 8 prévenus, seuls deux sont en liberté : les percepteurs Mamadou Oumar Bocoum et Ibrahima Touré. Ils ont tous les deux bénéficié d’un contrôle judiciaire après leur face-à-face avec le doyen des juges. Le premier, membre du parti présidentiel, a été nommé à l’Agence comptable des grands projets de l’Etat et du Plan Sénégal émergent (Pse). Ce que d’aucuns assimilent à un «traitement de faveur» qui lui est réservé depuis le début de cette histoire. Son co-prévenu, Ibrahima Touré, est dans la même pirogue car tous les deux n’ont jamais été arrêtés après leur inculpation. Et lors de son réquisitoire, le procureur de la République a requis qu’ils soient tous les deux innocentés, par le biais d’une relaxe. «Ils n’ont pas bénéficié des fonds de la Caisse d’avance et n’ont jamais rien perçu du maire comme il l’a reconnu lui-même au cours de l’interrogatoire. Leur rôle en tant que percepteur n’est pas de contrôler la destination de l’argent décaissé», avait estimé Serigne Bassirou Guèye.
LIBERTE PROVISOIRE SOUS CAUTION POUR KHALIFA
Pourquoi ça n’a pas marché
Le tribunal correctionnel de Dakar, statuant en audience spéciale, a rejeté la demande de liberté provisoire sous caution formulée par la défense. «Les garanties ne sont pas suffisantes. Il ne se pose pas un problème de recevabilité, mais du bien-fondé», avait déclaré le juge Malick Lamotte, au sujet des villas proposées par Khalifa Sall. Pour lui, huit des treize villas proposés sont au nom de tierces personnes, et ne sont pas, par conséquent, des biens du maire de Dakar. Or, argumentera-t-il, «ni le juge civil ni le tribunal ne peut saisir le bien appartenant à des tiers non concernés directement par l’affaire. Des terrains relevant du Domaine national ont été relevés dans la liste de biens immobiliers soumis comme moyens de cautionnement».
Ensuite, pour certains biens immobiliers offerts en garantie, notamment ceux se trouvant à Maristes (villa offerte par Mbaye Touré), Sacré-Cœur, Niague, Parcelles-assainies, le titre de propriété n’est pas rapporté. Par exemple pour la villa sise à Ouest-Foire, c’est un acte de cession notarié qui est versé dans le dossier, en lieu et place d’un titre de propriété authentique. Cette villa est déposée dans le dossier au nom de Mame Mor Sall, alors que l’acte de propriété comporte le nom d’une autre personne. Pour les autres, c’est soit une attestation de solde de la Société immobilière du Cap-Vert (Sicap) ou un procès-verbal de réception de la coopérative d’habitat d’Air Afrique qui sont fournis. Il en est de même des maisons dont l’hypothèque ne répond pas aux exigences légales requises. «Les documents fournis ne sauraient en aucun cas permettre un cautionnement sur les biens mobiliers», avait conclu le juge.
Hormis la liberté provisoire, toutes les autres demandes soumises à l’appréciation du juge ont été rejetées. C’est le cas pour l’incompétence tiré du fait que la Cour des comptes est déjà saisie de cette affaire. Pour le juge Lamotte, les délits reprochés aux huit prévenus entrent bel et bien dans ses compétences. La libération d’office demandée par les avocats de Khalifa Sall, en raison de l’immunité parlementaire de leur client, n’a pas, non plus, connu la suite attendue car qualifiée de «demande mal fondée». «La levée du mandat de dépôt ne peut être ordonnée que suite à une annulation de la procédure en application de l’article 127 bis du Code de procédure pénale», avait argumenté le magistrat.
Pour ce qui est de l’exception de litispendance, c’est-à-dire un litige porté simultanément devant deux tribunaux du même degré, il avait indiqué qu’elle n’est pas recevable. Ce qui l’avait poussé à prononcer le rejet, bien qu’il y ait une procédure pendante devant deux juridictions différentes. Enfin, la défense avait invoqué l’expiration du mandat de dépôt tiré du fait que le délai maximal de 6 mois pour la durée du mandat de dépôt avait été dépassé, en ce qui concerne les prévenus Fatou Traoré, Ibrahima Yatma Diaw, Amadou Moctar Diop et Yaya Bodian. Réponse du tribunal : le délit de détournement de deniers publics fait exception à cette règle.
La guerre des avocats a eu lieu
Au total, près de 30 avocats ont été constitués dans l’affaire Khalifa Sall. Du côté de la partie civile, l’Etat a commis 10 avocats chargés de défendre ses intérêts, notamment Mes Moussa Félix Sow, Yérim Thiam, Samba Bitèye, Baboucar Cissé, Souleymane Kane, Thomas Amico, entre autres. Ils ont été aidés en cela par l’agent judiciaire de l’Etat, Antoine Félix Diome. Toujours du côté de la partie civile, la mairie de Dakar a aussi désignés trois avocats dont les plus en vue ont été Mes Ousseynou Gaye et Ibrahima Diao, Me El Hadji Diouf étant récusé par l’Ordre des avocats, pour incompatibilité. Le pool de la défense comporte le plus grand nombre de robes noires parmi lesquels on peut citer : François Sarr, Moussa Sarr, Ciré Clédor Ly, Doudou Ndoye, Khassimou Touré, Demba Ciré Bathily, Seydou Diagne, Amadou Aly Kane, Abdou Dialy Kane, El Mamadou Ndiaye, Khoureychi Bâ, Youssoupha Camara.
Deux textes de loi ont été invoqués pour empêcher à Me El Hadj Diouf de plaider. Il s’agit de l’article 116 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui stipule qu’«il est interdit à tout avocat inscrit au barreau, lorsqu’il est investi d’un mandat de député, de plaider contre l’Etat, les collectivités ou établissements publics et les sociétés placées sous le contrôle de l’Etat». Il s’y ajoute l’article 11 de la loi 2009-25 du 8 juillet 2009 relative à l’Ordre des avocats du Sénégal qui dispose qu’un avocat, ancien agent de l’Etat, ne peut plaider contre l’Etat que trois ans après la cessation de ses fonctions. «Les avocats, anciens fonctionnaires ou agents quelconques de l’Etat ou d’une collectivité publique ou territoriale décentralisée, ne peuvent accomplir contre ou pour l’Etat, les administrations relevant de l’Etat et les collectivités publiques ou territoriales décentralisées aucun acte de la profession pendant un délai de trois ans à dater de la cessation légale et effective de leurs fonctions», énumère la disposition visée.
Pourquoi Me El Hadji Diouf et Cie n’ont pas plaidé
En 2014, ces deux dispositions ont empêché aux avocats Mes Souleymane Ndéné Ndiaye et Aïssata Tall Sall de défendre l’étudiant Apollinaire Diatta et 22 étudiants socialistes, poursuivis devant le tribunal des flagrants délits suite à de violentes manifestations à l’Ucad. Depuis cette date, cela fait office de jurisprudence ayant même conduit les avocats de l’Etat à la brandir à l’occasion du procès Karim Wade… Selon la jurisprudence, un député en cours de mandat reste assujetti à l’interdiction posée par l’article 11 de la loi relative à l’Ordre des avocats qui indique que «l’avocat investi d’un mandat parlementaire est soumis aux incompatibilités édictées par les lois relatives au Sénat et à l’Assemblée nationale et par les règlements intérieurs de ces deux assemblées».
Au procès Karim Wade devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), le même problème a été soulevé par Me El Hadji Diouf, avocat de l’Etat du Sénégal dans cette procédure qui a voulu récuser certains avocats de Karim Wade, dont d’anciens ministres de la République, parmi lesquels Mes El Hadji Amadou Sall, Alioune Badara Cissé, Souleymane Ndéné Ndiaye, Moustapha Mbaye, Madické Niang. L’ancien Premier ministre, Souleymane Ndéné Ndiaye, avait nié être concerné par cette disposition. Selon lui, il n’y a que deux catégories de corps au sein de l’Etat : des fonctionnaires et des non fonctionnaires. Egalement visé par le camp adverse, Me Alioune Badara Cissé, ancien ministre des Affaires étrangères. Ce fut l’arroseur arrosé car les avocats de la défense vont contester, à leur tour, la légalité de la constitution de Mes El Hadj Diouf et Moustapha Mbaye. L’ancien bâtonnier, Me Yérim Thiam, a auparavant adressé une lettre à l’ex-bâtonnier, Me Ameth Bâ, pour régler cette question. Mais le barreau n’a pas accordé une suite favorable à sa requête. Me Demba Ciré Bathily pour qui cette question ne relève pas de la compétence du juge de la Crei d’inviter ce dernier à s’en référer à l’Ordre des avocats.
ILS ONT DIT… A LA BARRE
Khalifa SALL : «Je suis là parce que j’ai refusé une offre politique»
«Je suis là, parce que j’ai refusé une offre politique. Je ne m’y connais pas en procédure, mais je sais au moins pourquoi je suis là. Le maire de la Ville de Dakar que je suis et ses agents, mes collaborateurs, sont attraits ici pour des faits très graves. Ce procès est un procès politique. Il découle de faits, de causes et de raisons politiques éminemment et fondamentalement. J’ai accepté de venir ici pour que plus jamais un maire ne soit attrait pour ces raisons. Nous n’avons commis aucun mal. Nous n’avons détourné aucun sou. Nous n’avons pris aucun franc de l’Etat. On a dit qu’on a pris. Je n’ai pas pris. Je ne suis pas quelqu’un qui prend, mais nous y reviendrons.
«Je suis ici, Monsieur le Juge, car j’ai dit non à une offre politique. On m’a fait deux propositions en juin 2012 et en septembre 2012 et j’ai refusé et depuis on a cherché à me déstabiliser. Et aujourd’hui, on passe par mes collaborateurs qui sont innocents. Il s’agit de fonds politiques que le maire utilisait de façon discrétionnaire au profit des administrations, institutions, populations démunies et nécessiteuses. Je n’ai jamais utilisé les fonds politiques à des fins personnelles. C’est la première fois de toute ma vie que je fais l’objet d’accusations aussi calomnieuses. En servant l’Etat, j’ai toujours été respectueux de la loi et des règlements. Je ne suis pas un homme d’argent et tous les Sénégalais connaissent mon train de vie et mes moyens de vie».
MBAYE TOURE, DIRECTEUR ADMINISTRATIF ET FINANCIER : «Jamais je ne serai l’auteur d’un détournement»
«Je n’ai pas commis d’escroquerie ni de détournement. Je remercie mes enfants, mes amis et mes proches. J’ai donné une bonne partie de ma vie à la ville de Dakar. Je viens d’une grande famille. J’ai donné toute ma jeunesse à la mairie de Dakar. Jamais, je ne serais l’auteur d’un détournement de deniers publics. On faisait comme ça depuis Mamadou Diop. Je ne peux pas détourner des fonds que je n’ai pas encaissés. Jamais Khalifa Sall n’a vu des documents, jamais donc il n’a signé, jamais il n’a pas vu de faux, jamais il n’a usé de faux. Tous les actes que j’ai eu à poser, le sont dans le cadre de fonds politiques. Ces fonds ne sont pas une Caisse d’avance. Ils ne répondent pas aux caractéristiques d’une Caisse d’avance. L’utilisation de ces fonds se justifiait tout simplement par le fait que l’arrêté de 2003 autorise à effectuer des dépenses pour apporter aide et assistance à toute personne en cas de nécessité».
IBRAHIMA YATMA DIAW, CHEF DIVISION FINANCE ET COMPTABLE : «J’avais la conviction que c’étaient des fonds politiques»
«Je n’ai jamais pensé un seul jour de la vie que je serai attrait devant la barre d’un tribunal. J’avais la conviction que c’était des fonds politiques du point de vue de son fonctionnement, de son montant et de son histoire. Sans vérifier l’état de ces marchés parce que je savais [que c’étaient] des fonds politiques. Je ne l’ai pas fait que sous Khalifa Sall. Je le faisais depuis octobre 2002 quand je suis arrivé à la Ville».
AMADOU MOCTAR DIOP, INSPECTEUR DES SERVICES MUNICIPAUX : «J’ai signé avec désinvolture les Pv de réception de marchés»
«La Caisse d’avance est conçue pour des dépenses urgentes, des menus dépenses qui correspondent à des situations urgentes imprévisibles et la justification se fait à postériori. A mon arrivée à la Ville, il n’y a pas eu de passation de service, donc je ne savais ce qui se passait exactement dans mon service. C’est en fouillant dans les archives de mon bureau que j’ai trouvé un arrêté indiquant que je suis membre d’une commission de réception des marchés. A ce titre, j’ai signé avec désinvolture les procès-verbaux de réception de marchés que Yaya Bodian me présentait. Je le faisais déjà pour mon prédécesseur. Désinvolture, c’est le mot que je peux utiliser parce que j’ai signé sans vérifier, étant entendu qu’il s’agissait de fonds politiques».
YAYA BODIAN, CHEF DU BUREAU DU BUDGET : «Je ne suis pas un escroc»
«Je demande pardon à ma mère. A mes enfants et surtout à mes épouses. Croyez-moi que c’est très difficile. Je ne suis ni malfaiteur, ni escroc. Je demande pardon à ma famille, plus particulièrement à mes épouses et à mes enfants pour toutes les contrevérités qu’ils ont entendues à mon égard. Je n’avais aucune intention malveillante. Je n’étais pas conscient de commettre du faux en remplissant des factures qui ne correspondaient à aucune livraison. Sachant que Mme Fatou Traoré a un Gie familial, je lui ai demandé de nous prêter ses factures, tout en lui précisant que c’était juste pour la forme et qu’il n’y aurait pas de livraison. C’était juste pour résoudre un problème comptable pour gérer ces fonds politiques. C’est un percepteur municipal que nous avons trouvé à la mairie qui nous a dit d’utiliser cette méthode pour gérer les fonds politiques. Au début, c’est elle qui signait et qui mettait les cachets. Après, elle m’a remis les factures et le cachet avec les références d’Ibrahima Traoré, président du Gie, pour que j’établisse les factures moi-même. Le Gie n’a jamais été payé puisqu’il n’y avait pas de livraison. Tout comme Fatou Traoré, j’ai passé en revue les différentes factures versées au dossier et je reconnais les avoir toutes signées au nom d’Ibrahima Traoré en modifiant [leur] signature».
FATOU TRAORE, ASSISTANTE DU DAF : «Je n’avais pas réfléchi à ce que j’ai fait»
«M. Yaya Bodian m’a demandé de lui prêter l’entête de notre Gie, pour établir des factures afin de justifier la caisse d’avance. Je l’ai fait. Je n’avais plus signé de facture après 2009. J’ai remis le cachet à Yaya Bodian. Sur les factures établies depuis 2011, aucune des signatures n’était la mienne. J’ai simplement prêté l’ente-tête du Gie sans arrière-pensée. Je n’avais pas réfléchi à cela (…)».
IBRAHIMA TOURE, PERCEPTEUR DE LA VILLE DE DAKAR: «Je n’ai rien à me reprocher»
«Je n’ai rien à me reprocher. Du point de vue budgétaire, on ne peut parler ni de caisse d’avance ni de fonds politiques. Ces fonds sont inscrits dans le compte 6490 intitulé dépenses diverses dans le chapitre du cabinet du maire».
MAMADOU OUMAR BOCOUM, PERCEPTEUR :«Je conteste toutes les accusations»
«Je conteste toutes les accusations. Je ne devais pas être ici, parce que je n’ai fait que respecter les textes. J’ai respecté toutes les instructions. Dans une caisse d’avance, on n’a que le mandat, les justificatifs viennent après et les justificatifs ont été produits. Mbaye Touré s’est trompé. L’article 34 du règlement général sur la comptabilité publique dit que les seuls contrôles que le comptable public doit faire portent sur la qualité de l’ordonnateur et la validité de la créance. Sur pièces et sur place veut tout simplement dire une vérification formelle des pièces et un contrôle du régisseur sur place. Je ne vérifie pas l’exactitude de l’opération. Je ne comprends pas, au moment où je payais en 2011, les pièces étaient valables et 7 ans après, on me dit qu’elles ne sont plus valables. Et je n’ai fait que respecter la réglementation sous toutes ses formes».
En attendant le verdict…
En attendant le verdict du 30 mars, cinq recours sont en instance devant la Cour suprême du Sénégal et la Cour de justice de la Cedeao. S’y ajoutent les exceptions pas encore vidées, notamment la demande d’annulation de la procédure, pour non-respect de l’assistance de l’avocat durant la garde à vue.
Khalifa Sall sera fixé sur son sort le 30 mars. Mais en attendant, d’autres recours toujours en instance pourraient changer le cours des choses, notamment certaines exceptions pas encore vidées. En effet, la première semaine du procès a été marquée par le stade des préliminaires, avec les exceptions, les nullités et les incompétences soulevées par la défense. Certaines d’entre ces questions ont été rejetées, au motif qu’elles sont «mal fondées». Parmi lesquelles la question de l’incompétence du tribunal correctionnel de Dakar à connaître de l’affaire Khalifa Sall, l’immunité parlementaire du maire de Dakar devant conduire à sa remise en liberté d’office, entre autres.
Mais d’autres exceptions ne sont pas encore vidées, car jointes au fond. Le juge se prononcera sur ces exceptions en même temps que sur le verdict final. Celles-ci concernent, entre autres, la constitution de partie civile de l’Etat du Sénégal, celle de la mairie de Dakar ainsi que la demande d’annulation de la procédure tirée de la violation du règlement n°5 de l’Uemoa sur la présence de l’avocat dès l’interpellation. En effet, pour non-respect du principe obligatoire de l’assistance d’un avocat à l’enquête préliminaire, plusieurs procédures ont été annulées et les personnes arrêtées remises en liberté, par les Cours et tribunaux. Voilà qui donne à Khalifa Sall et à ses 7 co-prévenus le droit d’espérer obtenir gain de cause, car aucun prévenu n’a été assisté par son avocat, à la garde à vue. Les droits de la défense étant sacrés, les juges vont-ils fermer les yeux sur cette violation de la loi ? La seule constante est que la justice sénégalaise a déjà annulé des procédures sur cette base.
En outre, dans sa décision rendue mardi 20 février 2018, la Cour de justice de la Cedeao n’avait pas ordonné les «mesures provisoires» demandées par les avocats de Khalifa Sall qui réclamaient qu’une injonction soit faite à Dakar de laisser la défense entendre tous leurs témoins à décharge. Et que le tribunal correctionnel accepte la caution devant permettre une liberté provisoire au maire de Dakar, en acceptant la caution en valeur immobilière proposée. La défense avait également sollicité que les juges de la Cedeao intercèdent auprès de Dakar, afin de «garantir un procès juste et équitable». Et aussi d’ordonner une expertise dans la gestion de Khalifa Sall, depuis son accession à la mairie de Dakar. Mais certaines de ces demandes étaient devenues sans objet car le procès avait déjà démarré à Dakar. Parallèlement à cette affaire en examen, deux autres procédures sont pendantes devant la Cour de justice de la Cedeao. L’une concerne le recours pour violation des droits de Khalifa Sall, dans cadre de son immunité parlementaire et de ses droits politiques.
Par Pape NDIAYE