La pièce Ger-Corruption…, mise en scène par Ndèye Fatou Cissé et jouée par les comédiens de la troupe dramatique de Sorano sensibilise sur la corruption. Le fléau touche ici l’administration sénégalaise nichée dans une ville anonyme où les passe-droits et la corruption sont maîtres.
L’auteur russe Nikolaï Gogol en écrivant dans le résumé de sa pièce de théâtre Le Révizor (un contrôleur de l’administration), interprétée pour la première fois en 1836, que c’est une «comédie de tous les temps et de tous les pays», ne croyait pas si bien dire ! Des siècles après, la pièce est toujours au goût du jour, car traitant des problèmes contemporains à savoir la corruption et l’usurpation de fonction. Réadaptée à la réalité sénégalaise sous le titre de Ger-corruption ou Monsieur pots de vin et consorts – pour garder la version de 1966 mise en scène par Maurice Sonar Senghor, premier directeur du théâtre national Daniel Sorano -, la pièce a été revisitée par la troupe dramatique de Sorano. Elle est mise en scène par Ndèye Fatou Cissé qui fait son baptême du feu dans le métier. La presse en a eu vent, hier, lors de la générale presse avant la première prévue vendredi à 20h.
Quelques extraits ont permis de camper le sujet dans le Sénégal d’aujourd’hui. Le commandeur d’une ville anonyme, informé de la venue d’un inspecteur de l’administration de Dakar, conseille à ses subordonnés (directeurs des hospices, celui des écoles et madame le juge) de mettre de l’ordre dans leurs affaires. Parce qu’ils vivent tous dans un système bien huilé de passe-droits où la corruption agit en maître. Le directeur des hospices doit veiller à ce que les manœuvres ne rentrent pas avec le ratio des malades ou revendent les médicaments gratuits. Des dépenses supplémentaires sont faites à l’école. Chacun d’eux à des «petits pêchés mignons» à cacher, sauf madame le juge. Comme pour dire que la corruption touche plus les hommes que les femmes. Le commandeur voulant dissimiler sa gestion catastrophique va corrompre un jeune fonctionnaire pris pour l’inspecteur. Cet usurpateur en profite pour amasser beaucoup d’argent…, aussi bien auprès du commandeur qui lui remet une mallette d’argent que des commerçants.
La pièce se joue dans un décor simple et adapté à chaque lieu : Table de bureau lorsque le commandeur parle à ses subordonnés, chaises faites de capsules de boisson dans une auberge et fauteuil pour la maison. Mais les costumes et accessoires portés par les comédiens prêtent à confusion. Si la canne renvoie à l’âge, à la puissance, gloire où au royaume, ici le metteur en scène, Ndèye Fatou Cissé, l’assimile au clan des corrompus. Il est difficile de contextualiser la pièce au regard du costume de l’usurpateur très colonial, très en contraste avec les tenues modernes des autres, comme s’ils ne sont pas de la même époque. Ajouter à cela, le français ancien et dépassé, parlé par les comédiens. Et que dire du jeu d’acteur et du texte ? Les comédiens parlent plus qu’ils ne jouent. L’accent est mis plus sur le récit, long et dense, pas encore assimilé par moments que le jeu théâtral. Ce qui pousse le comédien Lamine Dieng à dire qu’ils ont un très grand respect pour le texte. «Je crois que vous gagnerez plus en présentant une souplesse corporelle qui va à l’encontre du texte. Il faut déconstruire le texte», conseille-t-il. Les critiques d’un autre comédien, Paco Traoré, ancien de la troupe Faro de feu Oumar Ndao, vont dans ce sens. «Il faut du rythme, de la respiration, de grâce, aérez le texte. Votre jeu manque de souffle et d’écoute, ne vous laissez pas dominer par le texte», fait-il remarquer.
La pièce Ger-corruption ou Monsieur pots de vin et consorts vise à sensibiliser sur la corruption qui gangrène le pays et tous les niveaux. Selon le directeur général de Sorano, Sahite Sarr Samb, c’est une contribution de Sorano dans cette politique de sensibilisation en collaboration avec l’Ofnac. Mais pourra-t-elle être accessible à la population sénégalaise si l’on sait que la majorité de la pièce d’une durée d’une heure est dite en français ancien ? Puisque Sahite Sarr Samb soutient qu’elle circulera à l’intérieur du pays.
Fatou K. SENE