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Le Sénégal, notre cher pays, vient de vivre au cours de ce dernier mois une des crises les plus sombres de sa jeune histoire. La République a vacillé pour une histoire de mœurs, qui sous d’autres cieux plus sereins, aurait certes fait les choux gras de la presse et alimenté les gorges chaudes, au regard du statut de l’un des protagonistes, mais n’aurait jamais contribué à installer la chienlit. Celle-ci s’est traduite par un bilan provisoire de 13 morts et des milliards de francs partis en fumée. Alors que s’est-il passé pour qu’une simple étincelle se transforme en feu de brousse menaçant d’emporter tout sur son passage dans un pays présenté jusqu’ici comme une oasis de stabilité ? Sociologues, politologues et autorités politiques ne manqueront d’apporter une réponse à cette question essentielle. Mais permettez-nous de vous soumettre humblement le fruit de nos réflexions en espérant qu’elles seront utiles pour l’avenir.
Au commencement était un déséquilibre démographique : perspective 2050
Les événements des 3, 4 et 5 mars 2021, les « trois glorieuses » pour paraphraser Mamadou Oumar Ndiaye (Le Témoin), se sont caractérisés par un soulèvement populaire déclenché majoritairement par de très jeunes manifestants. Il suffit simplement de jeter un coup d’œil sur l’âge des personnes décédées qui varie entre 17 ans et 20 ans pour se convaincre que les évènements que nous venons de vivre constituent à bien des égards une révolte juvénile.
En effet, parmi les victimes, seul Moussa Dramé de Ndoffane avait 35 ans. Triste constat mais ce n’est point une surprise. Il y a lieu de rappeler qu’en 2010 déjà, les projections des nations unies estimaient que la population africaine qui était de 1,2 milliard d’habitants doublerait pour s’établir à 2,5 milliards d’âmes à l’horizon 2050. Mais le plus grand défi de cette perspective se situe au niveau de la jeunesse. En effet, plus de la moitié de cette population aura moins de 25 ans. Le Sénégal ne saurait échapper à ce défi démographique qu’il devra transformer en opportunité à l’heure où l’on constate un vieillissement inquiétant de la population dans certains grands pays (Italie, Japon) voire un recul démographique.
Dans un récent rapport, l’Agence Française de Développement (AFD) mentionnait que « Si, dans les prochaines décennies, rien n’est fait pour doper la création d’emplois de qualité tout en contenant la croissance démographique, la massification du chômage chez les jeunes ou la multiplication des emplois précaires pourraient constituer un facteur de très forte contestation sociale et de mobilité forcée. ».
Par conséquent, la configuration de notre population, composée majoritairement de jeunes, impose à nos dirigeants et impétrants de placer les problématiques de jeunesse au cœur des politiques publiques. A défaut, nos pays auront à gérer le pire des scénarios : la déflagration d’une véritable bombe sociale avec ses contrecoups qui vont du grand banditisme au terrorisme. 2050 se prépare maintenant.
Une crise des 3 pouvoirs
La confiance de nos concitoyens dans les institutions de la République s’est largement effritée. Pire, elle a tout simplement disparu. En réalité, l’Affaire Ousmane SONKO- Adji SARR n’a été que le révélateur de ce que l’on savait déjà. Pourquoi, en dépit des incertitudes sur la véracité des faits, l’écrasante majorité des Sénégalais connaissait déjà l’épilogue de cette sordide histoire? Un opposant placé sous mandat de dépôt, sali et délesté de ses droits civiques. La politique politicienne considérée par bon nombre de sénégalais comme le champ des actions malhonnêtes, des lois et décisions contraires à l’intérêt national a pris une telle importance que la parole de l’exécutif s’est dévalorisée à force de volte-face, ruses, duperies, nuances et autres wax waxeet honteusement qualifiés de génie politique par les spécialistes de la laudation.
Dans notre marigot politique, ravaler son vomi est devenu le vil jeu favori et la VAR n’y fait rien. La transhumance politique est institutionnalisée à telle enseigne qu’elle ne choque plus une population qui a fini par l’intégrer et en est totalement blasée. Le spectacle désolant que nous offre notre parlement relayé par les chaînes de télévision est caractéristique de la déliquescence du pouvoir législatif. Une statistique résume à elle seule la qualité de la vie parlementaire. Aucune proposition de loi d’envergure n’a été votée depuis 2012. C’est dire que qualifier cette institution de chambre d’enregistrement de l’exécutif n’est point exagéré. Quid du pouvoir judiciaire ? L’affaire de mœurs qui a récemment secoué la République a montré que les justiciables n’ont pas confiance en leur justice, surtout lorsque les protagonistes sont issus du personnel politique. Ils estiment qu’elle n’est ni indépendante, ni impartiale. Pire, ils la jugent corrompue ou assujettie à l’exécutif. Ont-ils tort ou raison ? Il serait fondamentalement injuste de jeter l’ensemble des membres de notre Temple de Thémis avec l’eau du bain car beaucoup de femmes et d’hommes qui l’animent sont dignes, de bonne foi et assument leurs fonctions avec toute l’éthique et la déontologie qui sous-tend leur serment. Toutefois, force et de reconnaître que les procès médiatiques impliquant des célébrités et, partant des hommes politiques, constituent les têtes de gondoles de Dame Justice. Et en la matière, ce qui nous a été donné de voir au cours des dernières années donne une image peu reluisante du pouvoir judiciaire.
Une classe politique au dessus des lois
De nombreux observateurs l’ont relevé avant votre serviteur et ce n’est pas prêt de s’estomper. Le personnel politique, tous bords confondus, prend ce pays en otage et se croit au dessus des Lois. Certes, il peut être admis que les hommes politiques ne sont pas des citoyens ordinaires. En revanche, ils sont des justiciables comme tout le monde. C’est à croire que les affaires politico-judiciaires se suivent et se ressemblent dans ce pays. Aussi loin que nous grimpons dans l’arbre à remonter le temps, les prévenus se bornent toujours à crier au complot de la part de leurs adversaires ou ennemis politiques et évitent soigneusement d’aborder le fond du dossier. C’est de bonne guerre de faire dans la victimisation pour gagner la bataille d’une opinion qui n’aime pas les victimes du fameux « toroxal gorr ». L’illustration la plus parfaite à ce sujet d’ailleurs a été donnée par un journaliste, Pape Ngagne NDIAYE de la TFM pour ne pas le nommer. Invitant Monsieur Cheikh Bamba DIEYE du FSD/BJ sur le plateau de son émission Faram Facce, le tonitruant autodidacte lui a indiqué en substance que « vous les hommes politiques, même si l’on vous arrête pour conduite sans permis, vous crierez au complot de vos ennemis politiques ». C’est tout dire et les exemples sont légion. L’affaire Aminata Lo DIENG, éclipsée par celle impliquant Ousmane SONKO, paraît déjà bien lointaine. Pendant cette période où il est très impopulaire de citer la France en exemple, les récentes affaires politico judiciaires de l’Hexagone impliquant tour à tour, François FILLON, Gérald DARMANIN, George TRON, Edouard BALLADUR, François LEOTARD et Nicolas SARKOZY, pour ne citer que ceux la, doivent nous édifier. Nous pourrions également traverser l’Atlantique pour convoquer l’affaire de harcèlement sexuel dans laquelle le Gouverneur de l’Etat de New York Andrew CUOMO est accusé. Tous se sont soumis à la justice de leurs pays sans pousser de cris d’orfraies en pointant du doigt leurs adversaires politiques. In fine, ce sont nos hommes politiques, du pouvoir comme de l’opposition, qui contribuent à discréditer la justice, selon leurs intérêts du moment.
Des médias au jeu troublant
Soyons clairs, il serait illusoire de croire que les médias sont impartiaux et ont un traitement de l’information situé à équidistance des chapelles politiques. Dans toutes les grandes démocraties de ce monde, il y a autant de lignes éditoriales que de sensibilités politiques. En France, “Le Figaro” et “Valeurs Actuelles” sont de droite là ou “Libération” où “Marianne” sont clairement de gauche. Aux états-Unis, le “New York Times”, le Washington Post” ou “CNN” sont de sensibilité démocrate alors que “Fox News” et d’autres médias de moindre envergure soutiennent ouvertement le parti républicain. Et les exemples foisonnent dans tous les pays. Au Sénégal, ce n’est pas nouveau non plus. Qu ne se souvient pas du journal “SOPI” avec ses articles au vitriol contre le régime du Président Abdou Diouf? Seulement, c’était au siècle dernier, à une époque où la petite lucarne n’était pas disponible dans tous les foyers et la distribution de la presse n’était pas numérique. Nos braves journalistes nous ont tellement rabâché la réthorique de Beaumarchais selon laquelle “les commentaires sont libres, les faits sont sacrés” que nous en sommes arrivés à la confondre avec la devise du journalisme. Cependant, ce qui est apparu depuis quelques temps, c’est que la sacralité des faits n’est même plus un postulat. La propension de plus en plus marquée de certains organes à travestir les faits sur fond de désinformation et de fake news tous azimuts est entrée dans les mœurs. Pis, la course au “shocking” est devenue une mode sur les plateaux télés. Les médias détiennent un énorme pouvoir, (le quatrième) en ce qu’ils façonnent l’opinion, ses humeurs, ses leurres et ses lueurs. Cette lourde responsabilité à l’heure de l’information instantanée et continue ne doit être transformée ni en phosphore, ni en silex.
Des réseaux sociaux vecteurs de haine, de violence et de médiocrité
Ils étaient sensés nous rapprocher mais ils ont creusé des tranchées très profondes au sein de notre société. Ils étaient sensés accélérer l’information et démocratiser son accès mais ils ont encouragé la désinformation, le lynchage médiatique et les fake news. Ils étaient sensés nous faire aimer les uns les autres mais ils ont davantage véhiculé la haine et la violence. Ils étaient sensés nous donner une infinité d’opportunités, ils sont devenus l’opium du peuple et endorment notre jeunesse “addicted” sous l’effet de pass internet bazardés par les opérateurs télécoms. Ils ont pour nom Facebook,Twitter, Instagram, WhatsApp, YouTube, TikTok, Snapchat. Une quinzaine d’années après l’introduction au Sénégal de l’aîné d’entre eux, Facebook, il devient impérieux de s’interroger sur l’impact des réseaux sociaux sur notre société et surtout, sur notre jeunesse. L’apparition des réseaux sociaux a telle permis à nos jeunes d’être mieux instruits? Nous sommes tentés de répondre par la négative lorsque l’on entend un professeur d’université dire sur les ondes d’une radio de la place que 89% des nos étudiants n’ont pas le niveau. Il suffit simplement d’apprécier leur expression écrite ou orale pour se faire une idée. La société est-elle mieux informée? Peut-être mais notre conviction est qu’elle est mieux désinformée tant les « fake news » concurrencent à longueur de journée l’information juste et vraie. A cet égard, le récent livre de Samuel LAURENT intitulé « Twitter va t-il tuer la démocratie ?» est une référence en la matière. Nombre de nos compatriotes ont relevé qu’ils n’ont jamais imaginé avant ces évènements des 3 glorieuses que les sénégalais pouvaient être aussi violents. Là aussi, les réseaux sociaux ont largement contribué à répandre la compétition d’invectives et de vulgarité à laquelle notre jeunesse participe au quotidien. Plus tu es extrême et plus on te like. Ces insanités sont le germe de la haine et de la violence qui s’est exprimée récemment. La formule magique est bien connue « gars yi partazé leen…. »* Ces nouveaux outils sont tellement nocifs que les patrons de la Silicon Valley qui les ont créés les interdisent à leurs enfants. CQFD.